RS200
Le projet de concevoir une groupe B compétitive
était figé depuis 1980, et la présentation officielle
de la RS 200 n'aura lieu que le 12 novembre 1984 au Salon de Turin. Pendant
cet intervalle de quatre années, la concurrence (Audi, Peugeot, Lancia,
Porsche, etc.), engagée dans une voie plus concrète, a donné
naissance à des voitures stupéfiantes. Les responsables sportifs
et commerciaux de Ford se sont, eux, interrogés sur la définition
du "produit groupe B", certains estimant que la future Ford de rallye
doit obligatoirement ressembler à une Escort. Le premier travail de
Stuart Turner, rappelé aux affaires courant 1983 avec une totale liberté
d'action, consistera à balayer tous les projets Escort RS 1700 Turbo
pour lancer l'étude d'un prototype qui sera la base de travail d'une
véritable voiture de sport, Pour Ford, l'enjeu est énorme car,
excepté avec son V8 Cosworth, le constructeur anglo-américain
est absent de la scène sportive internationale depuis 1981, année
où Ari Vatanen a été sacré champion du monde des
pilotes de rallye au volant d'une Escort RS 1800 privée. Un retard
considérable que Stuart Turner est convaincu de pouvoir rattraper.
Pour cela, il fait appel à ce qu'il est convenu d'appeler des "grosses
pointures') les meilleurs spécialistes disponibles: Ghia avec Filippo
Sapino et le design Ford-Europe pour le dessin de la carrosserie, Tony Southgate
pour la conception du châssis, John Wheeler pour l'implantation mécanique,
Malcolm Wilson pour les essais, et enfin le triple champion du monde de Formule
1, Jackie Stewart, comme coordinateur de la mise au point. Partant d'une feuille
blanche, ainsi que le souhaite Stuart Turner, le projet RS 200 prend forme:
ce sera un coupé biplace, dit "sans compromis", susceptible
d'être commercialisé dans plusieurs pays d'Europe. La version
compétition qui en sera extrapolée développera au minimum
380 ch. John Wheeler, l'ingénieur en chef de Ford-Europe pour le sport
automobile, opte pour une implantation mécanique originale: moteur
longitudinal, central, décalé, la puissance étant transmise
aux roues via une transmission alternant deux ou quatre roues motrices. Puissance
élevée, moteur central, transmission quatre roues motrices:
une fois déterminés ces éléments techniques essentiels,
Tony Southgate pouvait se mettre à l'ouvrage. Le résultat de
ses travaux est conforme à sa réputation: faisant appel à
toutes les techniques d'avant-garde, il dessine un châssis monocoque
simple, rigide et compact. Autour d'une ossature centrale en fibres de carbone
et fibres d'aramide, regroupant le tunnel de transmission, le pavillon, l'arceau
de sécurité et le tablier arrière, la plate-forme centrale
est constituéede caissons en aluminium et nid-d'abeilles Ciba-Ceigny
collés et rivetés. Les prolonges de châssis avant et arrière
qui constituent les supports de transmission sont réalisés en
caissons mécano soudés en acier, collés et rivetés
sur les tabliers en carbone. Lacier a été préféré
au carbone en raison de sa faculté de réparation rapide en cas
de choc, un souci d'efficacité et de simplicité qui a présidé
à toutes les étapes du projet. Ainsi, les concepteurs intègrent
le temps de dépose d'une transmission en rallye, qui ne doit pas excéder
dix minutes. Quant au moteur, le choix s'est très logiquement porté
sur le quatre-cylindres BDA en alliage léger. Il est disposé
derrière le pilote (décalé de 15,2 cm par rapport à
l'axe médian), en avant des roues arrière, incliné vers
l'avant de 1,5° et vers la droite de 23° afin de diminuer le centre
de gravité. Alimenté par une injection électronique programmable
et un turbocompresseur Garrett, le quatre-cylindres seize soupapes subit une
légère augmentation de cylindrée, tandis qu'un premier
boîtier réducteur est accolé au blocmoteur, une trappe
qui permet l'interchangeabilité rapide des pignons. La puissance est
transmise au différentiel central avant, un carter en magnésium
referme à la fois la boîte-pont à cinq rapports, l'inverseur
de propulsion et la réduction finale. Cette implantation permet un
équilibre parfait (50/50) des masses. Les trois différentiels
autobloquants sont réalisés par Ferguson selon le procédé
habituel, qui utilise un liquide à base de silicones offrant trois
modes de motricité: 1.50/50 ; 2.37/63 ; 3. blocage du différentiel
central, les quatre roues tournent en même temps. Terminons ce long
préambule technique avec les suspensions, très originales puisqu'elles
sont jumelées à l'avant comme à l'arrière, ce
qui permet de réaliser des montes mixtes associant des réglages
souples et durs avec une importante plage de flexibilité et deux points
d'ancrage différents, pour bonne et mauvaise route. Il ne reste plus
qu'à habiller ce petit cube de haute technologie d'une carrosserie
aussi fine que possible. Ce sera le rôle du centre de Design Ghia à
Turin qui réalise une coupe cunéiforme utilisant un maximum
de composants existants prélevés dans la gamme Sierra (pare-brise,
portes, etc.). Lensemble est ensuite testé en soufflerie à Cologne
et à Londres, ce qui entraîne quelques modifications d'ordre
aérodynamique. Cinq prototypes sont réalisés dans le
courant de l'année 1984, les premiers essais routiers ayant lieu à
l'automne. Dès sa présentation au Salon de Genève 1984,
soit plus d'un an après la Peugeot 205 T16, la similitude entre les
deux futurs adversaires est évidente, même si le design de la
Ford est plus esthétique. Techniquement, la Peugeot et la Ford utilisent
le principe du moteur central turbocompressé, mais la comparaison ne
peut aller au-delà en raison de leur position différente (le
Peugeot est transversal) et de la structure en carbone de la Ford. De leur
aveu même, les concepteurs ont souhaité disposer d'une rigidité
totale de tous les éléments, sachant que ce souci de sécurité
se traduit en kilos sur la bascule. En vérité, lorsqu'ils dévoilent
la première RS 200 à Genève, les responsables de Ford
attendent les réactions des acquéreurs potentiels avant de lancer
la fabrication en série des deux cents coupés nécessaires
à l'homologation. Si le programme initialement défini avait
été respecté, cette homologation aurait dû intervenir
au début de l'été 1985, pour une première participation
officielle au rallye des Mille Lacs, mais certains problèmes apparus
sur les six prototypes roulants, en particulier des difficultés de
mise en route et de ralenti, retarderont la mise en production et, par contrecoup,
l'homologation. Décalés au RAC Rally 1985 puis au rallye Monte-Carlo
1986, les débuts en rallye des RS 200 auront finalement lieu en catégorie
Prototypes au Lindisfarne Rally, remporté par Malcolm Wilson. Au rallye
de Suède, deux voitures sont confiées à Stig Blomquist
et à Kalle Grundel, lequel termine troisième derrière
la 205 T16 de Kankkunen et la Lancia S4 d'Alen. Résultat encourageant,
sachant que l'assemblage de ces deux premières RS 200 groupe B ne lest
achevé que quelques heures avant le départ de l'épreuve.
Par rapport à la version commercialisée, la groupe B est différente
au niveau de l'échangeur d'air qui est fixé sur le toit. La
deuxième participation a lieuau rallye du Portugal. Contrairement aux
voitures qui ont disputé le rallye de Suède, il s'agit de deux
versions asphalte neuves dont l'assemblage est, encore une fois, achevé
tardivement dans un stand du circuit d'Estoril. Blomquist n'a plus de "mulet",
mais celui de Grundel encore valide est confié au pilote portugais
Joaquim Santos. Lors d'une dramatique sortie de route dans l'épreuve
de Sintra, sa RS 200 percutera un groupe de spectateurs, dont trois décéderont,
ce qui provoquera le retrait de toutes les équipes d'usine. II ne fait
aucun doute que ce terrible accident a été causé par
une foule indisciplinée, mais Ford préfère quand même
faire l'impasse sur le Safari et leTour de Corse (épreuve marquée
également par un drame) afin d'être fin prêt pour le rallye
de l'Acropole. Les responsables sportifs ont vu juste: Blomquist et Grundel
s'emparent tour à tour du commandement de l'épreuve avant d'abandonner
en raison de problèmes de transmission. La dernière participation
des RS 200 en championnat du monde a lieu au RAC Rally où quatre voitures
sont engagées. Les deux pilotes habituels reçoivent le renfort
de Stig Andervang et de Mark Lovell. Grundel termine cinquième derrière
une Lancia S4 et un trio de 205 T16. Mais, suite aux nombreux accidents survenus
durant cette saison 1986, la Fédération internationale suspend
le groupe B. Si, au terme d'une carrière tronquée, les Ford
RS 200 n'auront jamais pu s'imposer au niveau suprême, en revanche,
certaines filiales ont enregistré des résultats dans les épreuves
nationales: Antonio Zanini en Espagne ou encore Robert Droogmans qui remportera
l'Haspengouw Rally et les Vingt-Quatre Heures d'Ypres, le Blanchi Rally en
Belgique, le rallye du Valais en Suisse; Joaquim Santos le rallye de l'Algarve
au Portugal, et enfin un doublé réalisé par Blomquist
et Andervang au South Swedish Rally. Maigre consolation pour une voiture polyvalente
dont l'une des principales qualités semblait être la tenue de
route, ses suspensions à grand débattement s'accommodant de
tous les revêtements. Interdites de rallye, les groupes B, et en particulier
les RS 200, se reconvertiront brillamment en rallycross où elles s'illustreront
jusqu'en 1992, pilotées par Doran, Schanche, Holm et même François
Delecour qui terminera troisième de l'épreuve de Bergerac cette
même année.
Rallye du Portugal 1986. Tragique semaine pour le sport automobile, en particulier pour Ford.
Présentation surprise de la Ford RS 200 lors du Salon de Turin 1984. Ce document permet de voir l'implantation mécanique longitudinale et décalée à gauche, seule solution envisageable pour laisser le passage à la transmission, située à l'avant.
Antonio Zanini au rallye Costa Brava 1986
Fiche
technique
Coupé 2 portes |
Les Ford RS200 d'usine ont debuté en compétition lors du rallye de Suède 1986 |